Hé dites c’est fou j’ai l’impression que ça fait une éternité que j’ai envoyé la dernière newsletter, alors que c’était il y a pile un mois à peine. Mais il s’est passé tant de choses depuis, une bribe de vie entière et pleine. Je craignais un peu la fatigue des déplacements pour les rencontres scolaires et salons du livres (Limoges, Créteil…), mais en réalité cela me revigore et me remplit bien davantage que cela ne me vide. Avec en corollaire une espèce d’émerveillement d’être là, à cette place, c’était si peu gagné, si peu donné, si statistiquement peu probable, avec en même temps la certitude que cette place est la bonne, celle où je dois être, que je vis des moments de douce dissociation, dans un déni à peu près total de la morosité de l’industrie du livre. Je suis deux personnes à la fois : celle qui est, et celle qui se rêve.
Désir et érotisme du texte, une réflexion
Depuis la fin de ces déplacements, plongée dans l’écriture. Enfin, je vis l’écriture. Je suis mes personnages (elle s’appelle Alice, il s’appelle Zakaria). Cet instant à la fois d’attachement et d’arrachement de soi-même où l’on est ses personnages. Je ne réfléchis plus à la technique, je ne vous en parlerai donc pas dans cette newsletter-ci, juste envie de partager ces citations que j’aime, issues de deux essais où je me suis retrouvée. D’abord Belinda Cannone, dans L’écriture du désir, qui parle de l’acte d’écrire :
Pourtant, écrire est difficile et inquiétant. Au point que je peux me demander ce qui fait naître, un jour, ce désir, désir tel que la vie perdrait son sens sans lui, mais dont la réalisation s’accompagne d’une certaine angoisse. J’imagine qu’il prend naissance dès l’enfance, quand nous nous découvrons mortels, quand nous vérifions la puissance du langage, quand nous nous sentons sommés de répondre à l’injonction du sens, quand…
Suspension de la violence du monde, sens donné à la vie malgré (contre) le vide, lien aux autres : trois fondements de mon désir d’écrire.
Et Roland Barthes, dans Le plaisir du texte, qui parle de l’acte de lire (auquel on pense instinctivement lorsqu’on écrit) :
Le plaisir du texte est semblable à cet instant intenable, impossible, purement romanesque, que le libertin goûte au terme d’une machination hardie, faisant couper la corde qui le pend, au moment où il jouit.
L’endroit le plus érotique d’un corps n’est-il pas là où le vêtement bâille ? Dans la perversion (qui est le régime du plaisir textuel) il n’y a pas de « zones érogènes » (expression au reste assez casse-pieds) ; c’est l’intermittence, comme l’a bien dit la psychanalyse, qui est érotique : celle de la peau qui scintille entre deux pièces (le pantalon et le tricot), entre deux bords (la chemise entrouverte, le gant et la manche) ; c’est ce scintillement même qui séduit, ou encore : la mise en scène d’une apparition-disparition.
Je profite de cette dernière citation pour évoquer ce succès, La femme de ménage. J’ai eu la curiosité de tenter de le lire, pour comprendre ce qui peut autant séduire. Et la première chose qui m’a sauté aux yeux, c’est l’absence totale de ce dont parle Roland Barthes, de vêtement qui bâille. Dans La femme de ménage, tout est nu, car tout est dit, souligné et sur-souligné voire sur-sur-souligné. Les zones érogènes du texte ne scintillent pas car elles sont exposées au grand jour dans un dévoilement total, avec une narratrice qui ne joue de l’apparition-disparition que via de faux suspenses à chute décevante ou à mécanique répétitive et lassante (oserais-je dire qu’il s’agit là de pornographie textuelle ?). L’image de couverture est assez éloquente : cet oeil par le trou de serrure semble tout voir, ne rien rater. Je suis très ennuyée de critiquer ainsi un roman qui fait lire tant de gens, et c’est une bonne nouvelle que tant de gens lisent, et puis l’histoire est sans doute très bien en dehors du style (je ne sais pas, j’ai abandonné ma lecture), mais je leur souhaite vraiment, par la suite, de connaître avec d’autres livres ce plaisir immense du scintillement textuel.
Parce que pour moi la suspension dans la violence du monde dont parle Belinda Cannone passe par ce libertinage textuel entre soi et les lecteurices.
🏊🏻♀️ Sinon L’intégrale du Grand Saut est sortie chez PKJ, et c’est un très bel objet livre, dont je suis assez fière, je l’avoue. Saviez-vous que l’histoire se passe à La Ciotat, ville ô combien en vogue ces temps-ci ? En voici une image lors de Créteil en poche, avant que j’y rencontre des bibliothécaires :
🐼 J’ajouterai enfin qu’en ce mois de juin mon Chun a reçu deux autres prix depuis celui de Nice, ce qui en fait un panda heureux.


Juste pour le plaisir, deux photos qui résument ma joie en ce mois de juin.
Ici lors de la journée Page des libraires à la BNF, pour parler de La forêt qui dévore, à paraître fin août chez Nathan, avec Bénédicte Cabane de la librairie Les Danaïdes (Annecy).
Et là avec ma fille, dans une guinguette parisienne en bord de Seine :
Il fait beau, mes enfants vont bien, j’écris, je lis, j’aime, laissez-moi en profiter au moins un temps ô guerres, réchauffement climatique, attentats masculinistes, baisse des budgets culturels, montée du fascisme etc.
A bientôt chers vous, portez-vous bien, profitez vous aussi autant que vous le pouvez, car la joie (et la lecture, n’oubliez pas !) est une forme de résistance en ces temps troubles.
Dans la prochaine newsletter je vous parlerai mieux de La forêt qui dévore, un roman important pour moi. A bientôt et passez un bel été.